Fais moi un thème LibreAlderyanJeff me secoue sans ménagement. Quelle plaie, il sait pourtant que j’ai le sommeil capricieux.
« Astéroïde, à 13heures, bouge le veau ou jamais on arrivera entier ! »
Rien de tel qu’une menace de mort imminente pour émerger. Encore plus efficace que le café serré ou l’odeur des croissants chauds. Peut-être même que ça dégrise en plus de réveiller. Une montée d’adrénaline aidant, j’enclenche les commandes manuelles avant même que mon cerveau ait fini de digérer l’information. Avec une série de bips stridents de protestation, l’ordinateur de bord déverrouille le pilotage automatique.
Je programme aussitôt une autre trajectoire, tapant frénétiquement, sous l’œil attentif de mon coéquipier. Il m’énerve. La situation est critique, et à le voir on croirait qu’il n’a rien de mieux à faire que de me regarder bosser.
Mes doigts pianotent à vive allure sur les touches, agrandissant l’écran radar.
« Cherche pas, c’est brouillé. » lâche Jeff avec désinvolture, comme s’il n’avait pas conscience qu’il aurait pu le dire cinq minutes plus tôt. S’il continue comme ça, nous allons nous aussi finir brouillés, si nous ne mourons pas avant.
« Coordonnées ?
-5037 ; 443 ; 46. »
Bataille spatiale, comme l’appelle Jeff lorsque nos vies ne sont pas en danger. Je ne sais pas pourquoi mais je pense que si j’avais eu le mauvais goût de ne pas changer notre trajectoire, Jeff accueillerait nos derniers instants avec un « coulé » sarcastique, et un sourire amusé.
Les chiffres et Jeff sont amis. Ils s’installent confortablement dans son cerveau et ne s’en délogent jamais. Il connaît la date de naissance de mon arrière-grand-tante, alors que je peine à retrouver son nom, et les coordonnées de toutes les bases des environs et d’ailleurs. Ainsi que la localisation de tous les morceaux de roches en apesanteur camouflés, certainement.
Effrayant.
Le veau, qui un jour pourtant fut vu comme un bolide, amorce un virement de trajectoire. Très lentement. Comme une baleine dans la mélasse. Trop lentement.
Je sers les dents, de rage et d’appréhension. « On ne l’évitera pas ! »
Je hurle presque, ma voix devenant dangereusement hystérique. Je m’affole, je secoue Jeff.
« Ca sert à rien ce que tu fais, me lâche-t-il aussi amorphe qu’une limace, ses cheveux cuivrés batifolant en tous sens. Il remet ses mèches d’aplomb, et n’en affiche pas moins un sourire agaçant. Je me retiens de lui rétorquer que lui non plus ne nous aide pas. Car je sais qu’il calcule, inlassablement, notre trajectoire et nos chances de survie. L’ordinateur doit certainement en être capable, et en moins de temps. Mais l’habitude de partir en mission avec Jeff m’a toujours servi d’excuse pour ne pas chercher les commandes correspondantes.
« On ne l’évitera pas. Enfin si, mais seulement avec 43% du vaisseau. »
Situation critique et inéluctable. (D’autant plus que Jeff a la mauvaise manie de ne tenir compte que des dégâts matériaux. En dessous de 98% dans ses estimations, nous sommes théoriquement déjà morts, ou au mieux, errant avec un membre en moins dans le vide stellaire.) Je rétablis fébrilement la liaison avec la base. Mes doigts tremblent, ma gorge me fait mal comme si j’avais tenté d’avaler le curieux rongeur de Jeff. Il me faut au moins trois tentatives pour y parvenir. Les touches frappées par erreur m’adressent de sinistres tintements de protestations.
Jeff pose une main réconfortante sur mon épaule.
« Jeff. Un je n’aime pas les hommes. Deux, rends-toi utile.
-Relax, Alder, il n’y a rien. C’était une blague.
-QUOI ? »
Je rugis, tant je suis hors de moi. J’ai le souffle coupé par le dégoût tandis que je savoure son ignoble plaisanterie aux accents amers de trahison.
Une voix plus courroucée encore, remplace de nouveau ma colère par de l’effroi. Merde. La base.
« ALDERYAN, REPONDEZ, POURQUOI AVEZ VOUS CHANGE DE TRAJECTOIRE ! VOTRE MISSION EST CAPITALE. PRIORITAIRE ! CE QUI SIGNIFIE QUE VOUS N'ETES PAS LA POUR ADMIRER LE PAYSAGE !… »
Jeff je vais te tuer…J’articule les mots en fixant sur lui un regard meurtrier et peu équivoque.
Jefferson D’un pas délicat, telle une danseuse étoile sous les feux des projecteurs, (malgré ma carrure d’armoire à glace) je me glisse silencieusement jusqu’au tableau de contrôle et réactive la trajectoire initiale.
Je ne suis pas si cruel. Bien sûr que j’éprouve un peu de remords, devant la mine décomposée d’Alder. La culpabilité me broie le cœur, car je sais qu’il ne me dénoncera pas. Une plaisanterie pareille me vaudrait un renvoi immédiat. Alder me hait en cet instant, mais il ne m’en estime pas moins.
« …JE M EN MOQUE ! MEME S IL Y AVAIT EU UNE PLANETE CAMOUFLEE SUR VOTRE ROUTE VOUS N'AVIEZ PAS A FAIRE DE DETOUR… »
Je me suis écarté par respect pour Alder, mais je crois que le moindre boulon de ce vaisseau vibre sous la fureur de l’effroyable capitaine Berk.
C’est ma faute. Ma faute pleine et entière. Je suis égoïste, cruellement égoïste. Je ne supporte pas d’être le seul à être inquiet, sur les nerfs. D’ailleurs dans cette catégorie là, le capitaine Berk se débrouille mieux qu’Alder pour se défouler. A côté des siennes, les colères de mon coéquipier font figure de battements d’ailes de mouches.
Car cette mission me déplaît. Et c’est un bel euphémisme. Je suis terrorisé. Je ne pourrais pas le dire sans éclater de rire certes. Mais pas plus que je ne peux nier ce poids douloureux dans ma poitrine.
Nous voguons, infime flocon dans la boule à neige de l’univers, en direction du fragile système d’Akya, pour régler un différent entre les Hommes et la Findeliah. Enfin plutôt entre les Hommes tout court.
Il n’y a que les Hommes pour se quereller entre eux.C’est ce que m’a dit ma sœur, hier. Bien que ce ne soit que la fin d’un message vocale, j’imagine sans peine son sourire cynique, son regard méprisant, noyé de cheveux roux. Ma sœur, Anna, et de bons amis vivent dans ce système. Ils respectent la Findeliah, qui en sa grande mansuétude les ignore en retour. Comme nombre d’habitants d’Akya.
En Akya, ne s’en affrontent pas moins deux écoles de pensée, l’une certifiant que nous devons nous allier à la Findeliah, et l’autre jugeant qu’il nous faut au contraire les fuir comme la peste ou mieux, les éradiquer comme la vermine.
Je n’ai jamais eu d’avis sur la question.
« …QU’AI-JE FAIT POUR MERITER D AVOIR SOUS MES ORDRES DE TELS INCOMPETENTS. VOTRE REACTION ETAIT STUPIDE IRRESPONSABLE ET INUTILE … »
Cependant le gouvernement ne veut pas en rester là, il veut avoir accès, sans autres conditions que les siennes, à la planète, que la Findeliah, si elle avait une langue pour en parler, nommerait « Sanctuaire ». Curiosité déplacée, richesses inexploitées ? Je suis sûr qu’il y a anguille sous roche. Et c’est depuis cette lubie que tout est allé de mal en pis.
Kelian Azurétoile, gouverneur d’Akya a assassiné le chef du parti des protecteurs de la Findeliah. On rapportait même à des années lumières d’Akya, qu’il aurait été frappé de démence, et hurlé que si la Findeliah avait vraiment été une et compacte, il se serait fait une joie de la pourfendre, à défaut de pouvoir l’annihiler complètement.
Mais la Findeliah est moins consistante encore qu’un murmure au vent. Une, double ou plusieurs, les théories fusaient. J’ai depuis longtemps ma propre opinion. Unique et plusieurs à la fois, duale par nature, la Findeliah est l’association entière et insécable de milliers d’être gazeux à défaut d’autre terme plus adéquat. Insaisissable, inodore, incolore, insécable, irritable et instable. Ma simple vision des choses se pose en argument suffisant pour justifier que je ne devais pas recevoir cette mission. Officiellement bien sûr, je plaide ainsi qu’Alder, me contrefoutre de la Findeliah, car quand des années lumières nous en séparent, il prête à rire de trembler devant de telles légendes. Car l’existence même de la Findeliah est trop légère. A tel point qu’on l’a cru pendant longtemps tissée des songes des Hommes. Cauchemars, hallucinations, autant de mots utiles pour cacher aisément ce qui est.
Le gouvernement n’a admis que depuis peu son existence. Et la Findeliah n’était plus uniquement le fruit d’esprits enfiévrés.
Les autorités ont pressenti son importance et refusent à braver son courroux. Kelian, c’est l’épine dans le pied dont ils n’avaient pas besoin. La Findeliah a pris très au sérieux cette affaire, et lorsque j’ai demandé à ma sœur si la Findeliah s’était déjà offensé de la sorte pour un simple humain, même défendant ses couleurs, elle a pris l’air distrait et innocent des enfants pris en faute. Il n’empêche, que la Findeliah, refuse, ne serait-ce que de s’entretenir avec l’un des représentants du gouvernement, tant que cette affaire n’aura pas été tirée au clair. D’où l’intérêt des autorités à faire comparaître Kelian au plus vite.
« …VOUS REPONDREZ DE CELA DEVANT LE CONSEIL DE DISCIPLINE ET N’ESPEREZ PAS CONSERVER VOTRE GRADE. LE PREMIER ABRUTI VENU EST CAPABLE DE TENIR UN CAP. ET DE SAVOIR SE TAIRE QUAND IL… »
On ne m’ôte pas l’idée, qu’il est troublant que nous ayons été choisis pour cette mission, notre désintérêt apparent pour cette cause -escorter Kelian Azurétoile pour qu’il soit jugé selon nos lois- suffit à en indiquer d’autres pour l’accomplir.
J’exècre le hasard et les coïncidences, je maudis les jeux du destin sous toutes leurs formes. Car bien que je lui oppose toujours un riant mépris, sans pitié aucune, la fatalité rabaisse toujours mes espoirs à néant.
Je soupire, et à la recherche d’un autre cobaye à torturer. Ca tombe fichtrement bien, ma sœur a eu la bonne idée de m’en offrir un. Je me penche sur la cage de la bestiole. Je ne sais pas ce que c’est ni d’où ça vient : c’est la marque de fabrique des cadeaux de ma sœur. Et c’est vrai que quoi que j’en dise pour leur défense, les habitants d’Akya agissent parfois bizarrement. Chaque fois que je lui rends visite, j’ai l’impression d’assister aux complots délirants d’une organisation secrète, et non aux banals commérages d’une réunion de famille.
La bestiole m’échappe et se cache dans un tube en plexiglas, me menaçant de ses petites dents pointues, de ses furieux yeux rouges cachés à demi sous son poil brun hirsute. Et s’y endort. Veinard. Même le hamster galactique, comme l’appelle Alder, a une vie plus paisible que la mienne…
Je sursaute. Un curieux sentiment s’empare de moi. Le malaise que je ressens toujours sur Akya. Si je le devais le décrire il aurait la consistance du miel, la couleur du regret, et le parfum du mystère. Insidieux et tenace. La marque de la Findeliah.
«Alder. Quelque chose cloche. »
Je parle d’une voix calme, assez forte néanmoins pour qu’il m’entende malgré les vociférations de Berk.
Il me lance un regard soupçonneux.
Avant que je ne puisse m’expliquer plus clairement, mon malaise se dissipe, comme un mauvais rêve.
« Un instant j’ai cru…, dis-je en plissant le front.
-Mais t’es vraiment trop con ! » me balance Alderyan, excédé.
« … VOUS M’AVEZ BIEN COMPRIS ? »
Heureusement Berk ne s’est pas rendu compte qu’il parlait dans le vide depuis deux bonnes minutes. Alderyan regagne son poste juste à temps pour acquiescer.
Mes doutes me taraudent de nouveau. Troublantes questions sans réponses.
Et je n’aurais sûrement pas d’autres informations de Berk maintenant qu’il est lui aussi convaincu qu’il aurait du confier la mission à d’autres.
Le calme retombe et je tremble. Alderyan m’observe du coin de l’œil. Il se ronge les ongles nerveusement, j’ai finalement touché la corde sensible. En plus de toutes les autres, désormais m’effraie l’éventualité d’un obstacle sur notre route. Car même si Alder se laissait convaincre une fois de plus, Berk lui jugerait, que rien ne peut s’opposer à l’accomplissement de notre mission.
KelianEnchaîné à ce vaisseau d’un autre âge, à peine embarqué que nous filons déjà vers ce simulacre de procès, l’esprit encore alangui par l’atmosphère douce et âcre d’Akya, ou plutôt devrais-je dire par la marque de la Findeliah. Je ne peux que m’étonner de l’escorte que l’on a dépêchée pour moi. Les deux hommes ont l’air compétent, mais ce ne sont certainement pas des militaires. Je suis presque déçu. Si j’en sors vivant, j’irai me plaindre au capitaine Berd.
Je m’attendais à un retour en grande pompe, diffusé d’une galaxie à l’autre, planté entre deux soldats. Il leur faudra bien plus d’efforts pour dramatiser mon cas. Car bien qu’ils veuillent de ma mort apaiser le courroux des Findeliahs, ils ne pourront jamais prouver ma culpabilité. Sont-ils assez bêtes, assez versatiles, assez humains pour en être déjà convaincus ?
Captif, je suis tenu au silence. Mais qui sait, ces deux là s’en moquent peut-être.
« On est bientôt arrivé ? »
Je ne risque pas grand chose à tâter le terrain. L’homme aux commandes, me demande poliment mais fermement de la boucler.
A mon grand étonnement c’est son coéquipier qui m’interpelle malgré un regard sombre du pilote :
« Qu’avez-vous fait pour en arriver là ? »
S’il pense m’extorquer des faux aveux aussi bêtement! A-t-il déjà oublié que j’étais politicien ?
« Me suis trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. »
Le type acquiesce d’un hochement de tête entendu. Je le connais depuis moins de vingt minutes et il ne cesse pas de me surprendre. Car depuis que je ne suis plus gouverneur, les gens sont bien moins enclins à opiner au moindre de mes mots.
Il m’invite à poursuivre. Va jusqu’à m’offrir un verre. Si je n’allais pas mourir, je nagerais dans le bonheur. Je n’en reviens pas d’une telle aubaine. Tant pis. Je vide mon sac. Je lui raconte tout. Et tandis que l’homme boit mes paroles, je réalise que son compagnon se retourne de temps à autres, pour poser sur moi de grands yeux étonnés.
Une once d’espoir, un leurre cruel, s’immisce dans mon esprit.
L’Akya que je dépeins n’est pas celle qu’il connaît.
La FindeliahNous nous délectons de l’existence. Le firmament nous veille. Ils n’auront pas Sanctuaire. Sanctuaire est à moi. Sanctuaire est à nous. Notre espoir en Akya. Notre récompense. Mon Eden. Ma folie et mon rêve.
Qu’importe le prix à payer. J’en pleure et j’en pleurerai. Mais c’était un mal pour un bien. Nécessaire et inéluctable. Sans retour en arrière. Notre douleur je porte, tel un drapeau en berne. Trahison consentie, je ne peux m’apitoyer.
A quoi bon crier maintenant. Le coup est porté. Par moi et contre moi. Contre l’essence même de ce que nous sommes. De ce que je suis.
Pourtant je crie et j’en frémis. Cette hardiesse m’effraie. Je ne veux pas être courageuse. Nous espérons tous, que je ne faillirai pas. Même si au final je dois souffrir pour cette partie de mon être. Arrachée, peut-être pour jamais. Déjà trop loin d’Akya, je la sens qui cède à mon emprise. Comme une blessure fatale. Engourdie. Anesthésiée. Mais je ne meurs pas. Car nous vivons. Dans l’air d’Akya. Attendant de gagner Sanctuaire. Où les Hommes n’iront pas. Pas plus que rien qui ne vit. Juste moi. Sauf cette partie de nous.
Ils comprendront trop tard que cette exigence là n’était pas négociable.
Pas plus que je ne peux regagner ce qui est mien. Perdu pour jamais. Un ver sans tête peut-il vivre encore ? Et si oui, quelle partie ?
La bestioleSans un mot, sans un geste. Notre mission. Ma quête ultime. Il me faut pour cela, une fois de plus mourir et renaître. Mais nous savons, que ni la vie ni la mort n’est vraiment cela pour nous. Je ne peux pas trembler. Comme le vent souffle le sable, je me volatilise, prêt moins que jamais à la tâche qui m’incombe. Diaphane être d’éther. Etant et n’étant pas. Je ne peux plus trembler. Je l’ai fait une fois, je le referais. Je ne dois pas faillir. Il le faut.
Ma dernière ordalie.
PS : Et si Zeus se pose la question si j'ai fait deux posts c'est que ça ne tenait pas